Par Maître Delphine MEILLET

Avocat au Barreau de Paris

Et Lauren MARSHALL

Juris Doctor of American University Washington College of Law

Master 1, Analyse comparée du droit; l’Ecole Normale Supérieure

Huit ans !

Huit ans que les gouvernements successifs voient passer des scandales judiciaires comme l’amiante, le Médiator ou les prothèses PIP et promettent une réponse concrète adaptée au nombre de parties civiles au procès.

Huit ans qu’ils nous annoncent, les uns après les autres, la mise en place d’une « class action » à la Française.

Nous sommes aujourd’hui huit ans plus tard, gonflé d’espoir, pour finalement voir poindre un projet de loi mineur instaurant, pas d’anglicisme oblige, «l’action de groupe ».

Car, loin de la restructuration en profondeur qu’impliquait une telle réforme, c’est un texte frileux et vidé de sa substance que nous ont livré nos créateurs de loi.

Commençons par le plus évident : l’action de groupe du projet de loi HAMON ne vise que le consommateur; elle ne s’appliquerait qu’aux préjudices matériels issus de la consommation ou de la concurrence. Inutile donc, en l’état, d’espérer engager une « class action » dans le domaine médical, en cas de catastrophe environnementale, ou encore dans le cas d’infractions boursières. Peu importe si ces domaines représentent la grande majorité des « class actions » dans les pays qui l’ont instaurée, faisons fi de la réalité judiciaire!

Et puis, pourquoi voir les choses en grand, pourquoi avoir de l’ambition, pourquoi répondre à une réalité, un besoin judiciaire ……..? Les actions de groupe tels que présentées dans le projet visent avant tout les petits préjudices financiers qui, individuellement, ne justifieraient pas une action en justice. « Réjouissez-vous, Madame, Monsieur le consommateur, ces 10 euros qui vous ont été prélevés par votre banque sans raison vont pouvoir vous être reversés ! Enfin, si vous prenez la peine de vous déplacer pour les récupérer… »

Car voilà un autre problème posé par le projet Hamon : il appartiendrait aux associations de consommateurs de mener à bien le procès, suite à quoi les personnes s’estimant victimes pourront se faire connaître et récupérer leur indemnité. Or, si un groupe de consommateurs peut contacter une association pour intenter une action contre une entreprise, rien n’interdirait à l’association d’engager une action sans la moindre partie civile !

La situation est d’autant plus rageante que la « class action » présente des avantages bien réels. Le recours à une seule grande procédure permettrait de centraliser les ressources, et donc les preuves à réunir pour justifier du préjudice, mais aussi de désengorger les tribunaux. Le tout, pour des frais de justice bien inférieurs à ceux qu’aurait nécessité une multitude de procédures individuelles.

L’exemple américain est édifiant : la « class action » s’est révélée être un véritable instrument de lutte sociale. C’est en effet à travers la « class action » Brown v. Board of Education, en 1954, que la Cour suprême américaine a statué que la ségrégation raciale n’était pas conforme avec la Constitution. De même, c’est grâce à une « class action» initiée en 2001 contre le géant américain Wal-Mart que 1,6 millions de salariées font aujourd’hui valoir qu’elles sont victimes de discrimination. Une ampleur impensable si chacune avait dû engager une action séparément.

Encore faudrait-il regarder la vérité en face et avoir le courage de tailler dans le vif, et non pas d’accoucher d’un texte minimaliste en le faisant passer pour une réforme digne de ce nom.

Or l’impression qui domine à la lecture du texte, c’est la frilosité, la parcimonie, la retenue. En tentant d’éviter les dérives de la « class action » américaine, les auteurs du projet Français ont confondu adaptation et rejet total du système américain. Il existe pourtant de nombreux garde-fous qui permettent de limiter les excès de la procédure américaine.

A commencer par ceux déjà présents dans le système Français : beaucoup d’opposants à l’action de groupe citent les sommes colossales que les entreprises sont condamnées à payer, sans préciser qu’elles sont majoritairement dues aux dommages et intérêts punitifs, une pratique interdite depuis toujours en France. Il en est de même pour le chantage au procès, qu’un simple contrôle a priori du juge suffirait à endiguer.

Mais pour une action de groupe pleinement efficace, il serait nécessaire de renoncer au recours absurde à des associations pour agir en justice, et de laisser aux victimes le choix de leur défenseur. Il faudrait alors envisager la procédure dite d’opt-out, dans laquelle les parties concernées doivent manifester leur volonté de ne pas faire partie de la procédure, par opposition à l’opt-in dans laquelle elles doivent s’y joindre d’elles-mêmes.

Nos voisins européens l’ont d’ailleurs bien compris : le Portugal en 1995, le Royaume-Uni en 2000, la Suède en 2002, ou encore les Pays-Bas en 2005, tous ces Etats ont mis en place une action de groupe au champ d’application illimité, sans les conséquences dramatiques invoquées par ses détracteurs. N’en déplaise à Madame PARISOT, le Conseil d’Analyse Economique reconnaissait lui-même dans un rapport paru en septembre 2012 qu’il n’existait aucune « étude qui établisse scientifiquement le lien entre actions de groupe (en Amérique du Nord ou en Europe) et perte de compétitivité des entreprises. »

En attendant, c’est pourtant vers cette Amérique du Nord tant redoutée que se tournent les avocats Français, dépourvus d’une option à même de servir les intérêts de leurs clients Français. C’est ainsi qu’en 2007, un juge New Yorkais a validé une « class action » concernant des infractions boursières contre l’entreprise Française Vivendi Universal, au nom de clients Français. C’est également auprès des juges de l’Ohio que nos avocats se voient forcés aujourd’hui d’agir pour les centaines de salariés de l’usine Goodyear d’Amiens, après que l’entreprise ait décidé d’en fermer les portes.

Alors, Messieurs les créateurs de Loi, faites de nécessité loi, prenez votre courage à deux mains, osez aller plus loin en proposant aux justiciables Français une vraie « class action » à la Française.